Suite à mes articles ce mois-ci qui complétaient les précédents sur C.M. (qu'à Roquevaire on censure encore) Jean Paul Roubaud ajoute:
Notre académicien n’est qu’à demi nôtre !
Né à Martigues, d’une mère qui en était originaire, il était Roquevairois du côté paternel.
Dans un texte intitulé « Les deux patries, ou l’élection de sépulture », repris comme chapitre dans plusieurs de ses œuvres, C.M. revendique cette double appartenance, inscrite au plus profond de son être : « on n’échappe point à sa terre, elle modèle l’âme et elle la compose », a-t-il écrit.
Ce partage par moitié nous permet de revendiquer l’excellente partie de son œuvre littéraire constituée par ses nombreux ouvrages sur la Provence, quitte à délaisser le reste…….
Ecrivain de langue française, il aurait pu être comme Frédéric Mistral, qu’il considérait comme son maître et son guide, un écrivain de langue provençale. Mais il choisit d’être lu par le plus grand nombre.
Il consacra d’ailleurs à ce dernier un ouvrage intitulé «Sous l’étoile du mage ».
Dans son texte, d’une écriture admirable, intitulé « Les deux patries, ou l’élection de sépulture », écrit en 1903, C.M. évoque le Roquevaire de son enfance (vers 1880) qu’il connut pendant les périodes de vacances, vivant le reste du temps à Martigues.
Repris comme un des chapitres de l’ouvrage « L’étang de Berre », publié en 1915, il constitue une réponse à un autre texte dans lequel André Gide évoque ses origines languedociennes par son père, et normandes par sa mère, et s’interroge sur sa véritable patrie.
« … C’est en remuant ces pensées ou ces songeries, pour mieux dire, que je relisais de mémoire l’article de M. Gide. Une admirable journée d’hiver venait de s’éteindre. Le foyer de sarments et de ceps s’allumait à peine ……..
En continuant de songer à la complexité de la terre natale, les deux patries de M. Gide, dansant devant moi dans le feu, me rappelèrent subitement une autre patrie, celle des origines paternelles, qui me fait pénétrer dans un monde nouveau.
Elle n’est pas très loin d’ici. Dix lieues au plus. Et c’est toutefois un pays aussi différent que possible du nôtre. M. André Gide parlait de Normandie ? C’en est une, en pleine Provence. Elle est composée de prairies, de chaque côté du petit fleuve Huveaune, qui descend de la Sainte-Baume, vert rouleau de pelouse étoilé de marguerites et de boutons d’or, planté de gros pommiers, arrosé d’une eau toujours fraîche, que de hautes futaies accompagnent jusqu’à la mer. De grands ifs, des peupliers robustes, des houx, des noisetiers, des sureaux, des osiers, des tilleuls odoriférants, tous les arbres du Nord et de l’Ouest, ceux que l’on voit se dépouiller aux mois d’hiver, mais fleurir et prendre leurs feuilles à la belle saison, sortent d’une terre abondante, dénuée de légèreté, mais travaillée avec une application admirable par des jardiniers que possèdent l’instinct du beau fin et le goût de la perfection.
Sans doute le cyprès, l’olivier et le pin lèvent, non loin, sur les coteaux, leur ferme stature éternelle, entre les bouquets de câpriers recouverts de terre au temps froid. Mais le fond de cette vallée veut ignorer tout l’ordinaire des végétations provençales ; la race ingénieuse, active, et d’un réalisme étonnant, montre des goûts et des besoins, qui passent nos niveaux de commune frugalité.
Je ne peux m’empêcher de me représenter ces âpres terriens comme le vivant repoussoir de nos matelots : je les revois toujours sur le pré d’émeraude, en train d’éventrer la pastèque ou de boire d’un incomparable muscat. Figues, jujubes et azeroles, pommes, pêches, poires ventrues, melons de toutes les espèces jonchent la nappe et le tapis que l’on étend sur l’herbe pêle-mêle avec les sucreries et les salaisons. Simples goûters, au reste, on ne s’en tient pas à ces bagatelles, à midi, ni le soir, et dans leur repas de moisson, les gibiers, les viandes de la terre et de l’air sont mis à toute sauce et largement arrosés de tous les alcools. Pauvre paysan, pauvre pêcheur de mon Martigues, rassasié de ta demi-douzaine d’olives et d’un peu de pain frotté d’ail ou de rudes anchois à l’huile, comme l’idée de tels festins me rapproche de toi ! Mais ce Pantagruel ne m’est pas un étranger non plus, et le sourire qu’il me donne ne saurait m’éloigner du bord où les pères des pères de mes pères ont vécu. Je ne puis oublier ni ce lit de verdure ni les arceaux de fleurs, de ma petite enfance… »
2022 08 JPR
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