mardi 20 août 2024

Témoignage 1944

 Mr Viala a bien voulu communiquer ses souvenirs à l'occasion de ce 80ème anniversaire de la libération de Roquevaire. La libération en 4 épisodes. Merci!


" ROQUEVAIRE. Village de Provence envahi en 1942 : Le tiraillement des estomacs           

Après le 11 Novembre 1942 la zone dite libre a été à son tour sous l’emprise de l’occupation allemande.         

Pour moi ce fut la surprise d’une découverte, un matin de ce mois d’automne, sur la grande place plantée de platanes dégarnis de leur feuillage dite « le Cours ».

A l’ouverture des volets à persiennes un spectacle d’engins militaires de toutes sortes s’offrait à toute la famille réunie au balcon pour la circonstance. Une vraie caverne d’Ali Baba ! Des jouets en vrai grandeur pouvaient être contemplés depuis le troisième étage de notre habitation. Des hommes en uniforme vert se déplaçaient autour de chars, de canons tractés, de camions lourds et de véhicules légers, de roulotte de cuisine, d’ambulance…

Nos parents n’ont pu nous contenir très longtemps à distance malgré leur crainte de nous voir approcher l’ennemi. Nous nous en sommes plutôt bien tirés. Ces hommes pouvaient être aussi des pères de famille. Nous sommes revenus à la maison avec du pain qui était alors une denrée rare et convoitée. Façon peut-être aussi de s’attirer les bonnes grâces des indigènes.

Dans les jours qui ont suivi d’autres convois ont stationné sur le Cours, nous les côtoyions avec la même curiosité et le même intérêt auquel nous avions rajouté les mèches. C’était des tiges grises ressemblant à des pâtes alimentaires en forme de long brin de paille de blé. Elles avaient leur utilité dans la mise à feu d’engins explosifs. Pour nous qui jouions aux soldats dans les collines environnantes, cela faisait plus vrai une fois allumées en bout de nos carabines en bois, faites mains. Nous n’avons jamais mis le feu aux pinèdes !

Certains adultes avaient aussi des comportements singuliers en raison de la rareté de la nourriture. Il y avait des gens des villes qui venaient à vélo avec remorque pour acheter des victuailles. Toutefois des gens des champs n’étaient pas exempts de trocs. Le responsable local de ce qui faisait alors fonction de notre EDF actuelle a raccordé au réseau électrique l’habitation d’un paysan des environs. Comme souvent le nom du lieu était donné comme sobriquet au résident. En l’espèce il s’agissait de Gabriel de « Bassan » ou plus succinctement Bassan, car il était le seul habitant avec sa famille de ces espaces caillouteux

La transaction comportait la fourniture de lumière contre fourniture d’un lapin.  L’absence de compteur était tacite. L’affaire dura jusqu’à la Libération lorsque l’ampoule gagnée sans doute par l’ambiance de liberté s’est mise à refuser toute collaboration. Le préposé de la distribution de courant n’était plus le même. Bassan est venu crier au scandale de se voir privé de lumière alors qu’il avait fourni son rongeur domestique. Il en a été quitte avec la mise en place d’un compteur moyennant finance. Il ne savait pas que les ampoules, même rares, se trouvaient dans le commerce local. Fatale ignorance !

Dans le sud de la France il y avait une cohabitation difficile entre les Italiens et les Allemands occupant ensemble la région. Toujours en matière de nourriture, j’ai assisté à une scène étonnante pour moi. La logistique des deux armées était distincte, celle de Mussolini n’avait pas l’efficacité de celle d’Hitler. Les « babi » comme étaient surnommés les italiens n’avaient pas grande nourriture.

 Ils avançaient avec leur mulet dans ce convoi qui traversait le village ce jour-là. Ils quêtaient de quoi se nourrir, lorsqu’un soldat allemand a mis dans la gueule de l’animal un chouette navet dont le muletier italien se serait bien contenté. Je n’étais pas alors en mesure de traduire la répartie du transalpin, apparemment, le germain non plus.

 

ROQUEVAIRE. Village de Provence Libération en Aout 44 : Les Allemands

Lors de son départ, l’occupant pouvait-être encore dangereux.

La gare était un équipement majeur durant l’occupation notamment pour soustraire aux raids aériens des convois matériels militaires qui pouvaient ainsi emprunter des liaisons moins surveillées. Des habitants des villages traversés par cette voie ferrée étaient réquisitionnés pour creuser des trous pouvant servir au camouflage d’un homme armé surveillant la liaison. Ils étaient distants quelques dizaines de mètres suivant le profil du tracé. Une fois réalisés, ce sont le plus souvent des civils qui étaient de surveillance dans ces caches pour prévenir les sabotages. Ils en répondaient sur leur vie en tant qu’otage. Il n’y a pas eu de dégâts.

            Au moment du débarquement en Normandie, le parc à marchandises de la gare s’est couvert d’une multitude de bicyclettes noires, identiques dont les roues et rayons scintillaient au soleil de l’Eté. C’était en prévision d’une débâcle possible, disait-on. Ils ont disparu comme ils étaient venus. Mystère.

L’autre grand espace était le terrain de foot. Il avait été récupéré pour servir de campement hors agglomération. En particulier il y avait une roulotte qui satisfaisait aux exigences de la nourriture des troupes allemandes stationnées là. A couvert sous les grands arbres le long de l’Huveaune, au-delà de laquelle passait la route nationale reliant Aix à Toulon. Nous y circulions à bicyclette pour nous rendre à notre « campagne ». C’est le nom que l’on donnait dans la région marseillaise pour dénommer un bien agricole possédé séparément du lieu de résidence.

            Dans cet espace dont les extrémités n’étaient éloignées que d’un millier de mètres ma famille a vécu deux incidents qui auraient pu être dramatiques.

Mon père était seul à pédaler sur son attelage vélo-remorque pour livrer des fruits au « messager ». C’était le nom du transporteur, véhicule au gazogène, qui assurer le groupage des colis de fruits et légumes et leur livraison aux grossistes de Marseille ravitaillant les vendeurs sur le marché de la Plaine et celui du Cours Julien.

Il montait la déclinaison de la Tannerie, voisine du terrain de foot. Deux camions de la Sté SIPA, fabricant des pâtes alimentaires viennent de le doubler. Ils sont de couleur sable.

C’est le moment que choisissent des chasseurs alliés pour les mitrailler, les confondant avec des véhicules de l’occupant ! Mon père n’a dû son salut qu’au réflexe de se précipiter dans le caniveau. Tout confondu, le cycliste, le matériel roulant. La récolte était perdue. L’agriculteur lui était fort heureusement sauf. L’alerte avait été chaude. Tout compte fait autant se battre ! Les armes étaient cachées dans le garage où nous dormions à la campagne.

Pour éviter de nous exposer au village mon père avait décidé de vivre au dehors. Sa qualité antérieure d’otage, n’était pas si ancienne, ses activités ne devaient pas être très orthodoxes.

C’est si vrai qu’ils sont intervenus à plusieurs pour chasser les quelques derniers Allemands qui étaient encore autour de la roulotte. Ils en ont ramené une denrée rare : du poivre dans un étui en bakélite. De chasseurs ils sont devenus chassés.

L’alerte avait pu être donnée auprès des feld-gendarmes à bord de side-cars. Ils ont épluché le périmètre, somme toute restreint Seulement voilà. Ils n’ont pas manqué d’aboutir, de nuit, au garage où ma mère et mon frère avec moi étions supposés dormir. Les phares ont éclairé le local qui était ouvert, mais situé à l’extrémité d’un chemin conduisant à un bois en surplomb. Ont-ils craint un guet-apens, toujours est-il qu’ils sont repartis sans venir jusqu’à nous qui ne voyons que des phares sous des casques et des armes en travers de leurs corps. Ouf !

            L’envahisseur, ici, s’était montré pour la dernière fois, sans dommage. Ce ne fut pas partout le cas bien malheureusement.

 

ROQUEVAIRE. Village de Provence.  Eté 1944

C’est un chef-lieu de canton entre Aubagne & Aix en Provence, dans la vallée de l’Huveaune, rivière côtière qui y a fait son lit, enfoncée entre la chaine de l’Etoile, dominée par le mont Garlaban et celle de Bassan, contre fort de la St Beaume laquelle culmine à 1000 mètres.

Tout proche du Pont de Joux, au nord, où la route de Nice vient rejoindre celle d’Aix elle-même conduisant à la route des Alpes et à celle de la vallée du Rhône.  Très proche également au sud du Pont de l’Etoile où bifurquent les routes de Marseille et de Toulon.

Il s’agissait donc d’un village stratégique de surcroit desservi par une voie ferrée secondaire en bon état de marche.

            Nous verrons une série d’anecdotes relatives à cette période alors que j’étais dans ma huitième année : le départ de Marseille en juillet 40, la vie d’enfant entre garrigues et scolarité

mais aussi la vie aux champs, l’arrivée puis le départ de l’occupant, sur ce dernier quelques souvenirs spécifiques, etc …

Je me souviens. Août 1944 

Cet Eté là, nous vivions la déroute des Allemands. On verra par ailleurs qu’elle n’était pas sans risque. Le débarquement de Provence venait d’avoir lieu à Cavalaire dans le Var.

Les alliés, avec de Lattre de Tassigny pour la France voulaient remonter au plus vite vers l’Allemagne par le couloir du Rhône et la route des Alpes.

Les maquis des plateaux du Vercors et des Glières   n’en ont malheureusement pas profité.

Ils devaient cependant neutraliser les troupes ennemies à Toulon et à Marseille.

La situation de Roquevaire au carrefour des routes conduisant et venant de ces deux villes nous mettait sur le chemin des libérateurs. Suivant une pratique déjà commune en Italie les convois de véhicules ne manquaient pas de jeter aux habitants, le long des routes, des cigarettes, des conserves, du pain, du chocolat et du chewing-gum.

J’en ai trouvé une tablette, toute seule au fond d’un grand carton que d’autres avaient dû vider de son contenu. Ce fut, pour moi, une découverte pleine d’appréhension. En août, il fait chaud en Provence, la gomme était toute ramollie.

De retour à la maison, un fourgon bâché, un Dodge de l’armée des USA était stationné à proximité de notre habitation sur la grande place du village. Un grand gaillard s’en extrait et vient vers nous : mon frère, moi et quelques camarades. Cet « Américain » parle très bien le français. Il arrive du Maroc, comme tant d’autres venus aussi d’Afrique, après avoir accompli la très dure campagne d’Italie. Il nous demande si nous savons où habite la famille Viala !

C’était notre cousin qui avait suivi son père, militaire de carrière, dans l’épopée des « Africains qui revenaient de loin pour défendre le Pays ». Son frère plus jeune était resté au Maroc avec sa mère. Bien sûr, pour Pierre et moi le roi n’était évidemment pas notre cousin !

Nous l’avons fait monter chez nous, un troisième étage d’une maison de village, où nos parents qui le connaissaient, l’ont accueilli avec son auréole de vainqueur… et ses victuailles en ces temps de disette.

 

André VIALA, le fils ainé de Louis, frère de Jules, mon père, vient de s’éteindre en avril 2008 sur les bords de la Seine, dans l’Eure. Il avait 88 ans. 

Des Andélys, où il résidait, puis à Courseules sur Seine s’étant rapproché du ménage de sa fille « Minouche » il a fini ses jours à l’hôpital d’Evreux. Il est enterré à la Roque d’Anthéron, sur la rive gauche de la Durance où Dady, son épouse, l’a précédé il y a une douzaine d’années.

 

ROQUEVAIRE. Village de Provence libéré en aout 44. Les néos -résistants

            Cette époque est pour mon frère et moi, celle d’une enfance libre dans un pays qui ne l’était pas. Pour nous, cette période si elle a été empreinte de privations ce n’est qu’au niveau de la nourriture. Toutefois mes parents avaient eu la sagesse de quitter la ville de Marseille pour le village de Roquevaire à la campagne, éloigné d’une trentaine de kilomètres.

Nous disposions de lopins de terre permettant la culture de légumes secs et de fruitiers.

De là, nous observions l’évolution des combats aériens lors des bombardements de la ville. Pour nous, c’était un peu comme le vol des hirondelles que nous suivions chaque soir, l’Eté, allongé sur le dos contre le sol encore chaud. Chacun de nous prenait possession de son oiseau pour gagner ou perdre on ne sait plus trop quelle course.

Un autre de nos jeux était bien moins innocent.

Le père d’un de nos camarades était directeur de la carrière locale exploitée par « les plâtrières du Vaucluse ». La matière première s’extrayait du sous-sol à une faible profondeur ce qui ne réclamait pas d’ascenseur comme il en existait dans les mines de lignite du proche bassin de Gardanne. La place ainsi libérée laissait de vastes galeries dont certaines se remplissaient d’eau de la nappe phréatique, variant avec la pluviométrie. Les matériaux extraits sortaient à l’air libre pour rejoindre les fours à l’aide de wagonnets en tôle poussés sur des rails à main d’homme ou avec l’aide de chevaux.

Le site était en lisière du village sur la route conduisant aux barres de Bassan. Profondeur relative et à l’orée des habitations cela faisait notre bonheur. Voici pourquoi.

Lorsque les Allemands se sont finalement installés dans le canton ils se sont bien vite aperçus du parti qu’ils pouvaient tirer des salles des galeries à température relativement basse et constante : un garde-manger où il n’y avait qu’à se préserver, avec des pompes, des humeurs de le nappe d’eau.

Notre camarade a mis un certain temps pour vendre la mèche. L’approche des armées alliées a dû lui faire craindre la perte du bénéfice d’une telle révélation. Ce stockage n’était pas connu de la population du village, il nous est rapidement devenu familier.

Pensez-donc : conserves, rouleaux de bonbons enroulés dans du papier d’aluminium, et suprême délice des cigarettes !

Les combats devant approcher, la carrière tournait au ralenti. Notre allié dans la place savait pertinemment quand nous pouvions installer nos quartiers sous les wagonnets retournés en attente de meilleurs jours. Cette pratique a perduré quelques semaines jusqu’au jour où nous avons bien failli être prisonniers de maquisards un peu tardifs. L’occupant s’enfuyait, il fallait traquer les attardés. Un groupe de guerriers locaux s’est avisé que de la fumée sortait d’un wagonnet posé à l’envers. C’est de cette façon que nous nous sommes retrouvés avec des canons de fusils braqués sous nos narines, à la grande confusion des résistants persuadés de tenir leurs fridolins. Nous avons pu nous enfuir sans difficulté.

La reconnaissance des lieux ayant été faite par les libérateurs ils n’ont pas trainé pour revenir dévaliser le garde à manger à l’aide de charretons, petites charrettes à bras. Le futur Maire faisait partie des déménageurs. Après quelques jours, l’affaire s’étant ébruitée au village, il a décidé de tout faire ramener pour assurer une redistribution plus équitable pour la population.

Notre camarade a eu quelques démêlées avec sa famille, son père n’était pas des plus faciles. Il a bien su identifier l’origine première du pillage des galeries de la carrière dont il avait l’exploitation, toutefois et heureusement pour le plâtre seulement.

Pour nous cette récréation était hélas terminée. Les meilleures choses ont une fin."

communiqué de Mr Viala à la municipalité.

 

 

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